30 décembre 2020

LE TÉLÉPHONE PORTABLE GADGET DE DESTRUCTION MASSIVE

« Chaque fois que vous passez un coup de fil, vous jouez avec la santé des habitants du Grésivaudan, avec la vie des Congolais et celle des derniers grands singes de la planète. C’est à ce prix que vous restez en contact. » Pièces et main d’oeuvre ont enquêté sur ce gadget quasi obligatoire et ses ravages écologiques, sanitaires, sociaux et psychologiques.

Ils présentent « l’Alliance », implantée sur la zone industrielle de Crolles 2, à vingt kilomètres de Grenoble, l’unité de production de STMicrolectronics qui a bénéficié des plus importants investissements depuis la construction des centrales nucléaires, 2,8 milliards d’euros dont 543 millions d’aides publiques, et fabrique des puces électroniques pour téléphones portables.
1,7 kilo d’énergie fossile, 1 mètre cube d’azote, 72 grammes de produits chimiques et 32 litres d’eau sont nécessaires à la fabrication d’une puce de 2 grammes, contre 1,5 tonne d’énergie fossile pour construire une voiture de 750 kilos. Soit un ratio de 2 pour 1, alors qu’il est de 630 pour 1 pour la puce !
L’Alliance s’est installée dans la Grésivaudan pour piller ses ressources en eau pure. Afin de nettoyer les plaques de silicium sur lesquelles seront gravés les circuits électroniques, 700 mètres cubes d’eau par heure sont nécessaires, soit l’équivalent de la consommation d’une ville de 50 000 habitants. Et les collectivités doivent lui payer 150 000 euros d’amende par heure en cas de défaillance dans la fourniture d’eau.
Consommant des tonnes de produits toxiques comme la phosphine, le thilane ou l’arsenic, elle a officiellement rejeté dans l’atmosphère en 2002, 9 tonnes d’oxydes d’azote, 10 270 tonnes de CO2 et 40 tonnes de composés organiques volatiles. Le rapport d’inspection de la Direction régionale de la Recherche et de l’Environnement (Drire) réclamait, en 2003, que certaines normes soient revues « compte tenu des difficultés » à les respecter ! De même, pour diluer les 1600 kilos de cuivre rejetés chaque année, le budget municipal a financé leur détournement vers l’Isère, après une plainte de la fédération de pêche.

Le coltan, utilisé pour les condensateurs des téléphones, est principalement extrait en République démocratique du Congo (RDC), notamment par des enfants, contribuant à la poursuite du conflit, aux contaminations, aux déformations congénitales, à la disparition des derniers gorilles.

Il faut changer (c’est-à-dire jeter) son téléphone aussi souvent que l’exigent la mode, le « progrès » et les fabricants. « En France, 19 millions de téléphones sont remplacés chaque année. » En 2001, 25 kilos de déchets électroniques et électriques y étaient produits par personne, chiffre qui devait doubler en 2013 : métaux lourds, cadium, mercure et plomb provoquant d’importantes émissions de dioxines lors de son incinération avec les déchets ménagers. La Chine et l’Afrique reçoivent ces déchets, issus des programmes de recyclages de pays qui essaient d’éviter la pollution de leur propre territoire. « On voit que les nuisances sont aussi durables que le développement des industries qui les génèrent. »

« Mode d’emploi à l’attention des cobayes : pour connaître les dégâts que vous inflige une “innovation“, attendez la suivante. Souvenez-vous, les pesticides étaient excellents pour la santé jusqu’à l’apparition des OGM, “indispensables“ pour nous débarrasser enfin de ce poison. » Les téléphones portables ont été mis sur le marché sans qu’aucune étude préalable n’ait été faite, rentabilité oblige, si bien que nous sommes tous soumis « à une expérience en taille réelle sur les effets sanitaires des champs électromagnétiques pulsés ». Pourtant, une étude de l’Union européenne révélait en 2004 que « les champs électromagnétiques générés par les antennes des téléphones portables provoquent indirectement des ruptures dans les brins d’ADN de cellules humaines et animales ». Un chercheur belge du Vlaamse Instelling voor Technologisch Onderzoek expliquait que les ondes atteignent le cortex, la zone la plus sensible du cerveau, provoquant une élévation de sa température et risquant, avec un usage régulier et prolongé, de léser l’ADN cellulaire et de provoquer des tumeurs cancéreuses. En 2007, le BioInitiative Working Group, synthétisant deux mille études, concluait qu’une exposition chronique aux rayonnements électromagnétiques cause des leucémies infantiles, que l’utilisation d’un téléphone portable augmente les risques de tumeur maligne du cerveau, de neurinome acoustique et de maladie d’Alzheimer. Mais « le lobby de la téléphonie mobile ne tolère aucune mise en cause, verrouille les résultats négatifs, achète des chercheurs à gages, enfume les autorités sanitaires, attaque les citoyens qui protestent en diffamation. » Les études financées par l’industrie ont six fois plus de chances de ne rien trouver que les études indépendantes. L’étude des champs électromagnétique de l’OMS, lancée en 1996, est financée à 40% par l’industrie du portable. Si l’Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement (AFSSE) a publié en 2003 et 2005 deux rapports rassurants, quatre chercheurs indépendants de l’industrie, écartés de son groupe d’experts, ont publié en 2004 un « livre blanc » intitulé Votre GSM, votre santé : on vous ment !, dans lequel ils résument les effets nocifs sur le système nerveux et le métabolisme cellulaire. Pièces et main d’oeuvre détaillent d’autres études dont les rédacteurs n’ont pas été auditionnés par l’AFSSE, alors que les opérateurs téléphoniques ont pu longuement évoquer les « symptômes subjectifs » dont se plaignent certains de leurs abonnés qui « dorment mal ou ont mal à la tête à force d’être inquiétés par des discours alarmistes » ! Ils dénoncent aussi les associations qui protestent contre l’implantation d’antennes relais sans jamais remettre en cause le téléphone portable, et réclament plus d’encadrement et de « réglementation des nuisances ». Par ailleurs, la disparition de « zones blanches » non couvertes par les réseaux va rendre les comparaisons médicales impossibles.

« Harcèlement publicitaire, téléphones offerts, suppression des cabines téléphoniques, coût exorbitant des appels depuis un fixe vers un mobile et pression sociale ont fait du portable la technologie au développement le plus rapide de l’histoire. » Les auteurs présentent la méthode brevetée de « conception assistée par l’usage » (Design smart process), mise au point par Philippe Mallein, sociologue et anthropologue de l’innovation, et qui permet de trouver des débouchés à une technologie en créant des besoins factices, plutôt que de répondre aux besoins de la population. Bien entendu, ils reviennent aussi sur l’invention des « relations publiques » par Edward Bernays dans les années 1920.
Le chiffre d’affaire des opérateurs de téléphonie mobile en 2006 était supérieur à celui de la construction aéronautique et spatiale. Celui des chargements de sonneries était de 8,5 millions d’euros en 2004 et devait atteindre rapidement 160 à 200 millions.

« Si ce marché est si porteur, c’est que le rouleau compresseur marketing a su capter ce qui, dans ce monde high-tech et dévoué à la guerre économique, avait été détruit : les rapports sociaux. Il est typique du système de nous vendre, à coups d’innovations, des remèdes aux maux causés par les innovations précédentes. Vous ne parlez plus à vos voisins à cause de la télévision ? Téléphonez-leur ! »
La « prothèse » procurant la capacité à être joignable tout le temps, ampute leurs utilisateurs de leur présence au monde et de leur monde intérieur. « Le portable est l’inverse de l’outil de communication qu’il prétend être » : doudou, laisse, mouchard, les auteurs explorent toutes ses « fonctions ». En Allemagne en 2007, un sociologue a été placé en détention provisoire, accusé de « comportement conspiratif » pour s’être rendu à un rendez-vous sans son téléphone !
« La traçabilité du cheptel humain est un des marchés d’avenir pour l’industrie électronique : puces RFID (identification à distance par radiofréquence), implants sous-cutanés, biométrie. Il faut juste nous faire accepter cette nouvelle condition d’esclaves suivis, identifiés, fichés, contrôlés. Quoi de mieux pour cela que le téléphone portable et ses fonctions ludiques ? Ils nous conditionnent à la traçabilité, et nous préparent à la domestication totale. » En 2004, le programme d’action du Gixel, le lobby de l’électronique, exposait plusieurs méthodes à développer pour faire accepter la biométrie, dans un effort de convivialité et un apport de fonctionnalités attrayantes : introduction dès l’école maternelle pour entrer et sortir, pour déjeuner à la cantine, dans les biens de consommation (téléphone portable, ordinateur, voiture, domotique, jeux vidéo), etc.
« La preuve est faite qu’une population entière peut se soumettre aux injonctions du marketing technologique et adopter sans broncher, mais en payant, un gadget dont elle n’avait pas besoin et le monde qu’il produit. »

Des citations sont malicieusement disséminées de loin en loin, interrompant l’exposé des nuisances par des « communications » exemplaires :  « Allô ? Ouais, je suis à la boulangerie. Une baguette. Non, je parlais à la dame. Quoi ? À moins le quart, OK. »

Un second texte suit, dans lequel Pièces et main d’oeuvre s’en prennent à la technologie en elle-même, à sa tyrannie, à ses applications. « Considérer la technologie comme “neutre“, c’est se livrer sans armes à sa domination, et renoncer à exercer son libre arbitre. » « La technologie, comme la médaille, compte un avers et un revers, indissociables. On ne peut pas choisir. »


Si beaucoup de chiffres de cet ouvrage paru en 2009 sont bien sûr largement dépassés, il n’est pas inintéressant de se plonger dans cette analyse pas si ancienne pour autant, de lire les mises en garde de Pièces et main d’oeuvre et de constater avec quelle vitesse les « innovations » nous sont imposées et sont admises : « Avec la télé mobile, les décideurs n’auront plus grand souci à se faire. Le temps de cerveau disponible de leurs « administrés » ne risque définitivement plus de se consacrer à la réflexion, sans parler de contestation. Un troupeau de zombies connectés sur les séries américaines et la pub, juste interrompues par quelques coups de fils (…) : voilà qui est simple à manoeuvrer. »


LE TÉLÉPHONE PORTABLE GADGET DE DESTRUCTION MASSIVE
Pièces et main d’oeuvre
Traduit de l’anglais par Tristan Lefort-Martine
Préface de Catherine Larrère
98 pages – 7 euros
Éditions L’Échappée – Collection « Négatif » – Paris – Février 2009
www.lechappee.org/collections/negatif/le-telephone-portable-gadget-de-destruction-massive



Voir aussi :

5G MON AMOUR - Enquête sur la face cachée des réseaux mobiles

 

 


1 commentaire:

  1. Merci de toutes ces informations qui vont me permettre d'être prudente.

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